DANSE AVEC LES LOUPS

Quand John Barry murmure à l'oreille des loups...

Premiers souvenirs cinématographiques et premiers frissons musicaux. Premiers westerns marquants et premières bandes originales inoubliables. J’étais un tout petit gars quand j’ai découvert sur mon écran télé Danse avec les Loups de Kevin Costner, et déjà j’étais absorbé par son scénario captivant, son univers et sa superbe photographie. Le film m’envoutait complètement à tel point qu’aujourd’hui encore, je le considère comme une référence du septième art. Et musicalement, le film captive : la partition signée de la main de John Barry y est aussi pour quelque chose. Entre le lyrisme irrésistible des mélodies qui s’imprègnent dans les personnages, l’éblouissante palette harmonique qui accompagne la photographie du film, l’orchestration riche et les rythmes foisonnants qui animent les scènes de batailles, il est difficile de rester de marbre face au talent du musicien et à la qualité de ses compositions. C’est pour cela que je vous propose de revenir sur ce film et d’en découvrir davantage sur sa bande originale.
Danse avec les Loups est réalisé en 1990 par l’acteur Kevin Costner qui signe ici son premier long métrage, adaptation cinématographique du roman éponyme de l’écrivain Michael Blake. Et nous pouvons dire que pour un premier film, il tape fort en mettant en scène une histoire prenante avoisinant les quatre heures, des images à couper le souffle et des personnages campés par de très bons acteurs. D’ailleurs, lors de sa sortie en salle, le film obtient un succès triomphal, à tel point que pendant la 63e cérémonie des Oscars tenue en 1991, il remporte sept trophées : il est nommé pour les catégories du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure adaptation, de la meilleure photographie, du meilleur son, du meilleur montage et de la meilleure musique originale.
Après avoir brièvement présenté les principaux enjeux du film ainsi que les thèmes abordés par le réalisateur, nous nous intéresserons à la mise en valeur de la musique de John Barry dans le long-métrage. Nous tenterons d’en dégager les thèmes musicaux les plus évocateurs, en soulignant l’importance qu’ils prennent lorsqu’ils apparaissent à l’image. Pour ce faire, nous analyserons certains extraits du film dont l’accompagnement musical apporte une signification supplémentaire à la mise en scène de Kevin Costner. Le lecteur aura ainsi plaisir à (re)découvrir sous un angle différent cette fresque inoubliable du western américain, pilier du genre et sa bande originale tout aussi mythique.

Photographie du film : Kevin Costner dans le rôle de John Dunbar.


Le synopsis
En pleine guerre de sécession, le lieutenant de l’armée nordiste John Dunbar décide d’être muté à la frontière du grand Ouest américain après avoir accompli et survécu à un acte de haute bravoure. Il se retrouve au beau-milieu de la nature, isolé du reste du monde, survivant dans l’ancien fort rudimentaire (le fort Sedgewick) qu’il essaie de retaper en attendant du renfort. Dans sa solitude, il entreprend l’écriture d’un journal de bord dans lequel il livre le contenu de ses activités quotidiennes, ses pensées, ses ressentis. Son seul et unique compagnon est son cheval Cisco, un fidèle étalon dans la force de l’âge qui lui a été offert par l’armée reconnaissante de son exploit. Aussi, il reçoit assez régulièrement la visite d’un loup craintif mais à l’air amical, très curieux de la vie que mène le militaire solitaire. Il le surnomme « Chaussettes » (« Two Socks ») du fait de la couleur de ses pattes. Peu à peu, John Dunbar est amené à rencontrer la tribu indienne des Sioux, peuple pacifique qui vit non loin de son campement. D’abord méfiants les uns vis-à-vis des autres, ils nouent peu à peu le contact, notamment après que Dunbar a sauvé Christine - de son nom indien « Dressée avec le poing » -, une jeune-femme blanche orpheline ayant survécu lorsqu’elle était enfant au massacre de sa famille par les Pawnies, tribu ennemie des Sioux. À partir de ce moment, le lieutenant Dunbar, oublié par l’armée américaine, va ressentir de plus en plus d’attirance pour la vie, la culture et la philosophie des Indiens au point d’en devenir un lui-même. Il sera ainsi baptisé « Danse avec les loups » par ses nouveaux amis…

Photographie du film : Chaussettes (Two-socks), un ami pas comme les autres.

Un récit complexe et des personnages forts
Au court de son récit, Kevin Costner développe des personnages forts, complexes et attachants dont l’évolution ne cesse de surprendre le spectateur. Le film adopte un ton politique et écologiste sous-jacent. Situé juste avant la conquête de l’Ouest et le massacre des Indiens, le film de Kevin Costner met en scène un récit riche, profond, intense tant dans le fond que dans la forme. Les Américains sont dépeints à travers une relation dévastatrice vis-à-vis de la nature et de la faune sauvage : les animaux sont tués, les ressources naturelles pillées, les paysages saccagés et les habitants niés et massacrés. La photographie du film le met bien en exergue. En effet, les couleurs qui entourent le fort délabré dans lequel se retrouve John Dunbar à son arrivée sont peu chaleureuses et sales, alors que le monde des Sioux est présenté à travers une palette aux teintes harmonieuses et variées. Toutefois, le récit n’est pas divisé de manière manichéenne en deux camps avec d’un côté les envahisseurs représentés par des Américains féroces, armés de fusils et de canons, et de l’autre, les victimes sans défense qu’incarneraient les Indiens. Les faits se révèlent être bien plus subtils qu’il n’y paraît. Par exemple, la grandeur de la culture américaine s’incarne à travers le personnage principal, John Dunbar, homme respectueux, calme, curieux, ouvert à la nature et aux cultures des peuples autochtones. Quant aux Indiens, ils ne sont pas uniquement représentés à travers le prisme des Sioux, peuple pacifiste, victime de la future conquête de l’Ouest. Ils s’incarnent aussi à travers la figure plus hostile et agressive des Pawnies.

Photographie du film : les Sioux

Une alchimie entre film et musique
Cette histoire captivante prend corps au sein même de la mise en scène ingénieuse de Kevin Costner. L’atmosphère qui s’en dégage est renforcée par la musique qui accompagne ce récit épique. C’est le compositeur britannique John Barry qui se retrouve derrière le pupitre pour la musique du long-métrage. Déjà célèbre pour avoir composé la musique de films tels Out Of Africa, il revient en force et fournit l’une des bandes originales les plus marquantes du cinéma et de sa création. Loin de ressembler aux musiques des westerns classiques des années 1970, la musique de Danse avec les loups se caractérise par une écriture musicale lyrique typique du style de John Barry : romantique, émouvante, et majestueuse. Le résultat est assez inattendu pour le genre du western. Ici, pas de pianos de saloons, de banjos, de guimbardes ou de guitares électrique désaccordées qui faisaient le génie des musiques d’Ennio Morricone pour les films de Sergio Leone. C’est un orchestre symphonique qui accompagne la beauté des plans par des couleurs riches, des timbres et des sonorités variées. John Barry reste fidèle à sa manière et à son écriture, répondant ainsi parfaitement à l’imagination et aux ambitions du réalisateur qui ne pouvait concevoir l’atmosphère musicale de son film autrement. Le compositeur met en œuvre une pluralité de matériaux thématiques, rythmiques et harmoniques pour accompagner au mieux les scènes. Ses compositions sont tantôt majestueuses, tendres brillantes et lyriques, tantôt plus froides, violentes voire funèbres. À sa manière, John Barry offre une immersion absolue dans le grand Ouest américain.

Portrait de John Barry

Occupant une place importante au cœur du long métrage, sa musique accompagne et rythme les plans de Kevin Costner. Les décors et les paysages somptueux mis en valeur et soulignés par la qualité de la photographie, sont aussi renforcés par l’inspiration du compositeur. Il en résulte un tout homogène très remarquable.
Par-delà cette multiplicité et cette acuité à se fondre complètement dans l’image cinématographique, la musique agit comme un fil conducteur du récit. Grâce à cet univers musical unique, le spectateur plonge aisément dans les émotions ressenties par les personnages mais sans jamais tomber dans un sentimentalisme pompeux. L’identification, l’attachement et la sympathie qu’il développe envers les protagonistes du film sont renforcés par le retour lancinant des mélodies et harmonies composées par le musicien. À la fois élégantes, sobres ou généreuses, elles transmettent à elles seules une partie de l’information qui n’est pas montrée à l’image.

Photographie du film : le lieutenant John Dunbar sur les terres de l’Ouest.

Les thèmes et motifs
Nombreux sont les thèmes ou motifs représentant un personnage (Dunbar, Chaussettes, Cisco), un groupe/une tribu (les Sioux, les Pawnies), un lieu (le fort Sedgewick) ou encore une situation (voyage de Dunbar, la chasse au bison, le thème d’amour). Comme une ode à la nature, les compositions de John Barry, dans une noblesse, une majesté et un lyrisme déployé apportent une ampleur et un souffle puissant à la vie organique de l’Ouest - en témoignent les nombreux motifs énumérés plus haut -. Elles soulignent la beauté et l’immensité des paysages, font vivre les larges plaines du territoire des Sioux, apportent sérénité et solennité à la nature et à la vie sauvage qui fascinent tant John Dunbar. La photographie du film est en ce sens magnifiée par la musique, et au cœur de cette mise en scène, le spectateur est lui-même amené à ressentir cette admiration, ce respect et cet attrait pour la nature. Cela renforce son attachement et son identification au personnage.
Prenons l’exemple de la scène qui retrace le voyage de Dunbar au début du récit, lorsqu’il rejoint son nouveau poste. La musique très lyrique qui accompagne l’arrivée du lieutenant dans le grand Ouest agit comme la découverte émerveillée d’un monde sauvage vaste et inconnu pour le héros, fait de terres vierges et désertes qui ne sont pas encore dominées par les Américains. Ce court motif mélodique modulant est un moteur du voyage du lieutenant.

Ci-dessus, le thème qui accompagne le voyage de John Dunbar.

John Dunbar – Danse avec les loups
Approfondissons pour commencer le thème de John Dunbar qui est aussi le thème principal du film. Ce détail a son importance car il est en raccord avec le titre du long-métrage : en effet, « Danse avec les loups » est le nom sioux donné à John Dunbar. Cette mélodie est à l’image de l’identité du personnage et en dit beaucoup sur sa personnalité et son caractère. À l’écoute, nous comprenons qu’il s’agit d’un homme humble, sensible, juste, respectueux et droit. C’est d’ailleurs le premier élément musical qui apparaît au générique d’ouverture et il annonce déjà la couleur majestueuse de l’histoire qui nous est présentée. John Barry construit sa mélodie sur la base d’un accord Majeur arpégé à la trompette qui rappelle au spectateur la sonnerie solennelle des clairons de l’armée américaine. La mélodie est donc en complète alchimie avec le grade de lieutenant de John Dunbar. Lors du déroulé de la première scène, son orchestration très cuivrée épouse le milieu dans lequel nous retrouvons le personnage : celui d’un camp militaire. John Barry développe le discours musical du thème de Dunbar tout au long des premières minutes. La mélodie circule entre les différents pupitres de cuivres, soulignée par le rythme implacable des caisses claires en écho à la bataille qui se prépare. Les couleurs froides soulignent la situation critique dans laquelle se retrouve le héros alors blessé à la jambe. Mais lorsque la bataille éclate, la musique devient victorieuse et s’accorde à l’acte héroïque qu’accomplit le personnage principal.

Ci-dessus, le thème de John Dunbar tel qu’il est entendu à la trompette

Dans la suite du récit, et conformément à l’évolution de John Dunbar, le thème est réentendu au pupitre des cordes. Il se raccroche alors au mode de vie du héros qui s’ouvre de plus en plus à la nature. La musique apparaît de manière beaucoup plus lyrique, notamment dans son écriture rythmique : plus large et syncopée. Elle résonne alors pour le spectateur de manière plus majestueuse. Elle est amplifiée par un contrechant aux violons usant d’intervalles disjoints dans le registre aigu - nous reviendrons plus bas sur ce contrechant qui fait écho au chant du loup, animal majeur du film -. Cette vision moins formelle du thème de John Dunbar joue davantage sur l’aspect émotif et sensible de son caractère.

Ci-dessus, un extrait du thème de Dunbar tel qu’il est entendu aux cordes de l’orchestre

John Barry offre même une version de ce thème à l’harmonica. Le timbre inattendu de cet instrument correspond au mode de vie que mène John Dunbar au fort : celui de la tâche qu’il s’impose au début pour remettre en état le camp insalubre et saccagé par ses prédécesseurs. Mais bien plus que cela encore, l’abandon de la trompette (comprenons le clairon) pour l’harmonica, instrument moins connoté, nous annonce aussi l’éloignement progressif du héros vis-à-vis de l’armée et de la culture américaine.  Le compositeur souligne ainsi la curiosité et l’ouverture d’esprit du personnage fasciné par la nature et le mode de vie du peuple sioux. Cet intérêt débouche sur un début d’amitié entre le lieutenant américain et les Indiens.
La brisure définitive de John Dunbar avec sa culture originelle se fait lorsque lui et les Indiens découvrent, impuissants, le massacre des bisons, froidement abattus pour leur langue et leur fourrure par des Américains venus piller les terres de l’Ouest, saccageant sur leur passage le territoire et les ressources des autochtones. Cette scène douloureuse est amplifiée par la musique qui l’accompagne, reprenant le thème de John Dunbar dans des couleurs sombres et funèbres, exclusivement mineures. La musique souligne alors la désolation et la honte que ressent le héros devant le sinistre spectacle orchestré par ses semblables. Le rythme de l’accompagnement musical résonne de manière très solennelle, prenant la forme d’une marche lente qui accompagne le cortège que forment les Indiens au milieu du carnage. Le contrechant dans le registre aigu évoqué plus haut est aussi présent, joué par la flûte. Cette version du thème de John Dunbar revient aussi à la fin du récit, plus précisément lorsque les soldats escortent John Dunbar devenu sioux vers le tribunal où il va être jugé pour haute trahison. Cette musique de désolation représente alors la destruction du monde harmonieux qui s’est construit crescendo autour de l’officier pendant le film.

(ATTENTION DIVULGACHEURS !) Impuissant, il voit ses congénères peu futés et ivres de bêtise, essayer de tirer au fusil sur son ami Chaussettes. Le contrechant de flûte prend alors une signification plus particulière dans cette scène et pourrait symboliser la lente agonie de l’ancien compagnon de Dunbar et aussi préfigurer la disparition des guerriers de la plaine.


Chaussettes
Le thème de Chaussettes est lui aussi un élément musical emblématique et central du film. Revenant régulièrement à l’écran, il annonce la présence de ce compagnon pas comme les autres. Il faut aussi souligner que l’image du loup est un pilier central du film qui agit comme une métaphore de la relation entre les Indiens et John Dunbar : l’image d’une amitié qui se développe peu à peu entre le lieutenant américain et les Indiens, apprenant patiemment à se connaître et s’apprivoiser, et dont l’harmonie et l’amitié sera brisée par les blancs américains pour qui le « loup » n’est qu’un être sauvage dangereux dont il faut se débarrasser. C’est aussi en cela que le film annonce le massacre programmé des Indiens. Le thème de Chaussettes est symbolisé par des couleurs douces et chaleureuses qui constitueront aussi le fond des motifs mélodiques relatifs au peuple Sioux. La musique de John Barry indique déjà la nature douce, amicale et inoffensive de cet animal. Sa mélodie à la flûte, ses grands intervalles et ses désinences expressives peuvent aussi faire écho au chant de l’animal. Les motifs mélodiques de Dunbar et de Chaussettes sont liés entre eux par le contrechant évoqué déjà plus haut qui accompagne la mélodie de Dunbar. Lorsque les Sioux aperçoivent Dunbar et Chaussettes en train de « jouer », la musique toujours lyrique s’agrège d’une couleur espiègle renforçant la douceur et la fidélité amicale de Chaussettes. C’est à partir de ce moment précis que le lieutenant John Dunbar devient « Danse avec les Loups ».

Ci-dessus, un extrait du thème de Chaussettes

Le monde des Sioux
John Barry a composé plusieurs motifs mélodiques qui se rattachent à la tribu des sioux, à leur harmonie avec la nature et la faune sauvage. Nous en avons décelé cinq au sein de la bande originale, chacun instaurant un climat de paix, de sagesse et d’harmonie. L’idée mélodique qui représente le peuple Sioux prend place au sein d’une mélodie lente et ample qui se décompose en plusieurs cellules mélodiques répétées deux fois. John Barry a su mettre en place une atmosphère de plénitude et de sagesse qui correspond au mode de vie et à la culture de cette tribu. Cet univers sonore méditatif et harmonieux participe à la naissance du monde idéal qui se construit crescendo autour du héros. Entendu le plus souvent au pupitre des cordes dans un registre médium, ce thème s’articule tout au long du film comme un témoin de l’amitié de plus en plus forte qui unit Dunbar et les Indiens. Elle est d’ailleurs présente lors de la scène des adieux.

Ci-dessus, le thème des Sioux

Elle participe aussi à la naissance de l’amour entre Dunbar et Christine alias « Dressée avec le poing ». Une relation qui est musicalement développée à travers un thème d’amour cristallisant l’union des deux personnages, mais aussi l’apothéose du héros devenu lui-même un Indien.  
Un autre motif représentatif du monde des Sioux apparaît lors de la traque des bisons. Il s’agit d’une mélodie simple, forte et affirmée en une progression harmonique constamment renouvelée. La musique de John Barry y prend une ampleur magistrale, très puissante grâce aux cuivres de l’orchestre. La mélodie affirme aussi le lien d’amitié fort qui vient de se créer entre Dunbar et les Indiens. Dès que la chasse commence, le thème cède sa place à un allegro explosif regorgeant d’énergie, en pleine alchimie avec le caractère épique et grandiose de la scène. La musique rythmée et héroïque souligne aussi le plein épanouissement du personnage principal dans ce milieu aux côtés des Sioux.

Ci-dessus le motif mélodique de la traque des bisons

Les Pawnies
La partition de John Barry ne s’arrête pas là et est aussi agrégée de passages musicaux plus durs, plus sombres et plus violents. Selon nous, le thème musical qui représente le plus cet effet est celui attribué aux Pawnies, les adversaires des Sioux. La musique accompagne leur présence à l’écran en leur apportant de la prestance, de l’ampleur et une majesté redoutable. Une atmosphère implacable règne dans ce motif mélodique, quelle que soit la manière dont nous le fait entendre le compositeur. Il nous laisse ainsi découvrir son potentiel évocateur qui apparaît tantôt de manière minimaliste, lente et menaçante, tantôt tonitruante, fulgurante et effrayante. Musicalement, le compositeur parvient à faire ressentir au spectateur l’agressivité et la férocité de ce peuple au travers d’un matériau musical efficace dans lequel la mélodie et l’harmonie jouent sur une palette sonore ambiguë qui est aussi renforcée par l’orchestration fine et précise.
La mélodie est construite sur le mode de mi phrygien, couleur très typée qui évoque des sonorités de musiques tribales. Sur un tempo relativement lent, John Barry développe le discours musical dans un ambitus de large envergure : la mélodie s’y déploie au travers de grands intervalles toujours plus aigus. La première cellule du thème que nous appellerons « A » est entendue à l’unisson à la flute et à la trompette en flatterzunge. Cette technique produite par un jeu de la langue dans l’instrument à vent permet de produire un tremolo - roulement très rapide sur une note – et offre ainsi une couleur sonore particulière très employée par les compositeurs au XXe siècle. Ici, la combinaison des deux timbres laisse place à un son ambigu et inhabituel. Ce son renvoie davantage à un instrument inconnu – qui pourrait très bien être folklorique - qu’à des instruments plus familiers comme ceux de l’orchestre. La seconde cellule du thème que nous appellerons « B » est un unisson strident et incisif ascendant des violons dans le registre aigu.

Ci-dessus, le thème des Pawnies

La première occurrence du thème des Pawnies accompagne l’exécution de Timmons, personnage crasseux et un peu simple, alors qu’il retourne vers la ville après avoir accompagné John Dunbar au fort Sedgewick. Le tempo adopté par John Barry est ici plus lent, les couleurs sont plus froides, plus impérieuses et rigides. Dans cette scène, l’écriture musicale employée par le compositeur est épurée : une note pédale dans le registre grave sur mi, des ponctuations de grosse caisse - qui d’ailleurs pourraient faire écho à une musique tribale - et enfin la mélodie se déployant dans le registre medium-aigu. L’ambitus déployé est large, mais il n’y a pas d’harmonisation de cette mélodie, ce qui en fait une occurrence très minimaliste. Le registre médium est délaissé au profit d’un espacement ample entre les graves et les aigus. Il en résulte une sévérité musicale pétrifiante qui renforce la froideur et la cruauté de la mise à mort du malheureux.
Pendant le déroulé de cette scène d’exécution, la musique est mise en scène d’une manière à ce qu’elle produise sur le spectateur un effet de sueur froide. Il n’y a pas d’échappatoire. Le thème des Pawnies résonne en alchimie avec la mise à mort dérisoire de Timmons : lente, douloureuse, cruelle et sans pitié.

Photographie du film : Les pawnies

Plus tard dans le film, John Barry réitère ce thème mais de manière beaucoup plus explosive. La lenteur et le minimalisme qui avaient permis d’instaurer un premier aperçu de l’hostilité et de la violence des Pawnies sont décuplés lorsque la musique réapparaît à l’écran. Les scènes regorgent ainsi d’une intensité musicale renouvelée. Quand le tutti orchestral explose, il permet de mettre davantage l’accent sur l’allure redoutable des guerriers indiens. Le compositeur déploie alors son écriture et son matériau musical : une vie rythmique fournie et tonitruante aux percussions, mais aussi une harmonisation ambivalente entre polytonalité voire polymodalité qui a pour effet de produire une forte ambiguïté harmonique. Dans sa réalisation à l’orchestre, un large accord (presque agrégat) aux cordes martèle froidement chaque temps de la pulsation dans le registre médium. Cette occurrence du thème des Pawnies accompagne notamment la scène de leur bataille contre les Sioux vers la fin du récit.
Prenons l’exemple d’une autre scène dans laquelle le spectateur est invité à replonger dans les souvenirs du personnage de Christine (« Dressée avec le poing »). Cette scène terrifiante retrace le massacre de sa famille perpétré par les Pawnies alors qu’elle n’était qu’une enfant. La musique qui accompagne les images est d’abord apaisée et chaleureuse. Elle permet ainsi au spectateur de plonger dans une sérénité profonde qui rappelle l’innocence et la naïveté de l’enfance. Le calme et la paix règnent dans l’orchestre épuré : tempo assez lent, note pédale dans les graves, mélodie au piano soutenue par de longues notes aux voix de femmes. L’atmosphère épouse le caractère paisible de la réminiscence. Toutefois, il n’échappe pas au spectateur que ces couleurs douces et délicates nous trompent et dissimulent quelque chose de plus sombre, latent et menaçant qui se prépare à surgir. En effet, d’un seul coup de baguette, la musique sombre brutalement vers les sonorités d’une extrême violence, glaciales et vertigineuses du thème des Pawnies. Il est entendu ici dans une véritable apothéose orchestrale. Ce qui fait la singularité musicale de ce passage – et ce qui en fait l’un des plus marquants du film – est la rupture de ton considérable avec ce qui précède : changement de nuance, d’orchestration, de mode, de caractère et d’écriture. La férocité et la violence sont mises en œuvre et signent la marque indélébile de ce massacre sans pitié. Cet immense contraste musical mis en œuvre par John Barry ne fait qu’amplifier l’impact de la scène sur le public et participe à l’efficacité de la mise en scène de Kevin Costner. En effet, ce souvenir tragique et effroyable doit marquer le spectateur autant qu’il a marqué le personnage de Christine qui n’était qu’une enfant. Grâce à la partition de John Barry, le potentiel de la scène est déployé à son maximum, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il s’agit de l’un des moments les plus terribles du long métrage.


L’œuvre composée par John Barry pour Danse avec les Loups regorge d’idées musicales variées auxquelles le film rend hommage en leur accordant une place importante. Comme nous l’avons constaté, la mise en scène de Kevin Costner est agrégée par la musique. Le compositeur parvient à imprégner les personnages d’une aura singulière, en mettant l’accent sur leur caractère, leur personnalité et leurs émotions. Principalement axée selon le point de vue de John Dunbar, la musique permet au spectateur de s’identifier plus facilement à lui. Plus encore, il nous permet de nous immerger dans le paysage de l’Ouest américain, de plonger en harmonie avec le monde des Sioux. Nous sommes amenés à ressentir la curiosité du héros pour la faune environnante, nous partageons son admiration pour les Sioux, son dégoût pour la colonisation des Américains et le pillage des terres de l’Ouest. La qualité du film alliée à celle de la musique agit sur le spectateur dès le commencement et s’articule subtilement entre scènes d’action, de voyage, d’amour, de massacre ou encore d’émerveillement, et ce jusqu’au moment du générique de fin. Y défilent alors les idées musicales principales du récit, évoquant l’amitié forte entre John Dunbar et les Sioux, et enfin, le thème principal qui conclut la fresque puissante mais qui laisse aussi se profiler en un ultime frisson la cruelle destinée qui a marqué les tribus indiennes.
Que vous soyez cinéphiles, musiciens, ou mélomanes en quête de découverte, nous ne pouvons que vous conseiller l’écoute de cette bande originale et le visionnage de ce classique du cinéma américain.

Image de l’album édité en deux CDs à l’occasion du 25e anniversaire du film

 

Liens vers la musique et les scènes du film
La bande originale issue de l’album officiel du film : https://www.youtube.com/playlist?list=PLyklbgRq2G7_lS_iqEobO1pRCwByr3n5b
Scène d’ouverture : https://www.youtube.com/watch?v=C8wTmw7F4Eg
Scène du voyage de Dunbar : https://www.youtube.com/watch?v=PdCDLgX6ecc
Scène de la mort de Timmons : https://www.youtube.com/watch?v=9hW4nTYNSEA&t=126s
Scène de Dunbar et Chaussettes : https://www.youtube.com/watch?v=ahW9jOS0-pY
Scène du massacre des bisons : https://www.youtube.com/watch?v=ZkDqzpNsg6U
Scène de la chasse au bison : https://www.youtube.com/watch?v=X4f4tmpVR-U
Scène du souvenir de Christine : https://www.youtube.com/watch?v=Nh5q7Lrb69M
Scène finale des adieux : https://www.youtube.com/watch?v=nLABrjgZ2PU&t=172s

Bibliographie séléctive
BARRY, John, Dance with Wolves : Original Motion Picture Soundtrack [CD], Epic, 2004, 75 minutes.
BARRY, John, Dances With Wolves : 25th Anniversary Expanded Edition - 2 CD [CD], La-La Land Records, 2015, 145 minutes.
COSTNER, Kevin (réalisateur), Danse avec les loups [DVD 1], Pathé, Edition collector 2003, 236 minutes.
COSTNER, Kevin, Making of Dance with Wolves, [DVD 2], Pathé, 2003, 98 minutes.

Publié le : 03/07/2020 à 12:50
Mise à jour : 07/07/2020 à 09:56
Auteur : Yann Bertrand
Catégorie : La musique et les autres arts

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